© Bernard Cantié

Journal de confinement #1 : Cantié

Nos artistes nous envoient leurs cartes postales. Voici Bernard Cantié qui nous écrit depuis la Corse. 

 

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"Le confinement, je l'ai choisi depuis pas mal d'années maintenant, et celui qui nous est imposé tragiquement aujourd'hui ne change pas grand-chose à ma vie, en tout cas dans ses fondements essentiels. Le petit village où je vis est structurellement confiné, il perd son sang social depuis le début des années 60 du siècle précédent. Seul un miracle, une véritable prise de conscience, individuelle et collective, permettra de remettre tout en place et de réinventer une vie sociale digne de ce nom. Tout un programme mais je m'égare...

 

Pour le moment donc nous n'allons plus au bistrot du village, nous ne recevons plus nos amis, et mes journées s'écoulent parmi mes photos grâce auxquelles je réinvente chaque jour la manière de raconter la même histoire. Une histoire de confinement toujours plus serré, mais qui chaque fois me permet de faire un pas de plus vers l'Universel. Quelle aventure! Oui! Quelle aventure!

 

Et puis, quand le soir tombe, je sors griller une pellicule 24x36 histoire de me persuader que j'ai toujours envie de ressentir cette récurrente émotion quand une photo vient à moi. A ce moment-là, tout s'ouvre et je n'ai plus un seul ennemi au monde.

 

Avant-hier, dans l'après-midi, le temps était à l'orage. Un vent chaud venant du Sud, comme il en arrive de temps en temps jusque dans nos montagnes, donnait une impression de mini canicule, hors-saison et anachronique. J'allais commencer ma séance de développement, préparais mes cuves, vérifiais la température des bains, quand une pluie lourde et chaude a commencé à tomber. Du coup, j'ai abandonné mes bains et ai opté pour une douche. Confinement? Confinement! Je vais t'en faire du confinement, moi!

 

A poil! Et voilà ma terrasse transformée en une improbable et magnifique douche italienne, face à la vallée et aux villages voisins! J'ai voulu immortaliser cet instant, j'ai voulu me déconfiner entièrement. Quelques secondes après cette image, j'ai poussé un long cri vers la vallée, un cri à la Tarzan, mais à la mode corse : 'LIBERTA'!

 

Je n'en suis pas sûr, mais Jeanette, ma voisine, 88 ans, est la seule à m'avoir aperçu. Elle avait jusqu'à présent une haute opinion de moi, puisque, en dehors du fait d'être l'arrière-petit-fils de Matteolo, j'étais le photographe respectable qu'elle voit de temps en temps sur FR3 Corse. Pour elle donc, il y aura un avant et un après confinement..."

Bernard Cantié