Toshio Shibata

Quintessence of Japan 

Toshio Shibata

Né en 1949 à Tokyo (Japon)

La galerie Polka présente une sélection exceptionnelle de tirages d’époque du photographe japonais Toshio Shibata. Au début des années 90, il réalise trois sets de tirages au format 30x40 cm au terme d’un travail sur les paysages initié en 1983. Le premier est conservé précieusement par l’artiste à Tokyo. Le deuxième a intégré les collections du MoMa de New York en marge de l’exposition « New Photography 8 » (1992-1993) orchestrée par Peter Galassi, à l’époque conservateur général de la photographie de l’institution. Le troisième, proposé dans le cadre de cette exposition, est celui qui fut confié, par l’artiste, aux éditions Asahi Shimbun pour la réalisation de son premier livre « Photographs by Toshio Shibata, » publié en 1992. Lire la suite

La série « Quintessence of Japan » raconte l’histoire de l’appropriation par l’homme des ressources et des espaces naturels du Japon. On croise ici des forêts habitées d’infrastructures de fer et de béton, des montagnes millénaires creusées par la route, des fleuves canalisés par des digues de plastique et des ouvrages monumentaux, des lacs noyés dans la boue, les éboulis et les déchets de bois, des façades artificielles de galets, de tôle et d’écrous, des cascades bloquées par de la terre de remblai et des grillages, des dalles de plastique déguisées en baleines blanches.

Les hommes eux, ont presque disparu des photos. Seules restent quelques traces, des résidus, au niveau des points de contact avec la terre vierge. Des stigmates monstrueux, sublimes et grotesques dont Toshio Shibata a voulu saisir l’étrange harmonie et l’apparente tranquillité, à la chambre grand format.

Marqué par ses études en peinture et ses connaissances de l’imprimerie d’art, inspiré par les paysages d’Ansel Adams et les travaux d’Edward Weston, Shibata bouscule les codes de la photographie de paysage. Dans des compositions hyperréalistes où le ciel et l’horizon n’existent plus, l’artiste insiste sur les tensions physiques qu’il décèle, en accordant une attention particulière aux tonalités, aux contrastes et aux détails des empiètements qu’il saisit. A tel point que le réel devient la copie. Et la photographie un outil plus puissant que l’observation directe à l’œil nu, de quelques unes des conséquences esthétiques de l’urbanisation et de l’accélération économique du Japon.

Dans le discours critique sur l’esthétique japonaise, le terme « Ma » — qui peut être traduit par « seuil » ou « silence » — décrit cet intervalle qui permet à deux mouvements qui s’opposent de communiquer. En calligraphie, le concept permet d’expliquer l’importance de ce qui « est » entre les lignes, dans l’enchainement du trait. A ce propos le peintre Yuuko Suzuki écrit : « les caractères ne sont pas constitués de traits distincts, mais forment un tout vivant. Il faut l’avoir constamment à l’esprit et ne jamais arrêter un caractère en cours de route pour le reprendre — car dans ce cas il serait mort. » Le silence des photographies de Shibata incarnent cette voie du « Ma », l’étude d’un espace vide mais plein de sens à travers l’observation d’une relation entre deux forces, l’homme et la nature. Au milieu, il y a l’artiste, que la philosophe Noriko Hashimoto appelle l’exécutant. Investi au cœur de la scène et de l’action en même temps qu’en dehors. Avec le recul d’un spectateur.